INTERVENTION DU PREMIER MINISTRE ARIEL HENRY A LA RENCONTRE MINISTERIELLE SUR HAÏTI VENDREDI 27 JANVIER 2022, 11H00

Son Excellence Monsieur le Premier Ministre Justin Trudeau,
Mesdames, Messieurs les Ministres et autres officiels gouvernementaux,
Ambassadeurs,
Représentants des Organisations Internationales,
Mesdames et Messieurs,

1. Permettez-moi de commencer mon propos en adressant au nom du peuple haïtien et en mon nom propre en tant que Premier ministre, chef du gouvernement de consensus d’Haïti, mes remerciements au gouvernement du Canada d’avoir pris cette heureuse initiative, de convier les participants à cette rencontre ministérielle en vue d’échanger sur les défis persistants auxquels mon pays est confronté. J’adresse également mes remerciements à tous les pays et aux organisations internationales qui continuent à soutenir Haïti en cette période particulièrement éprouvante. Vous avez tous des agendas chargés du fait des évènements, les uns plus préoccupants que les autres sur les scènes nationale et internationale. Merci de prendre le temps de vous pencher sur ce qui se passe en Haïti.

2. Je sais que vos pays et organisations respectifs se sentent concernés par la dégradation du climat politique depuis l’assassinat odieux du président de la république, la tentative d’assassinat sur ma personne récemment aux Gonaïves, également par le dysfonctionnement des institutions démocratiques, la montée de l’insécurité qui se traduit par des actes de terrorisme aveugle et les effets dévastateurs des catastrophes naturelles à répétition qui affectent mon pays. J’ai eu l’occasion d’en parler avec vos ambassadeurs et avec certains d’entre vous et j’ai suivi avec beaucoup d’intérêt les diverses rencontres organisées autour de la crise haïtienne.

3. Mon gouvernement est plus que jamais déterminé à faire aboutir l’enquête sur l’assassinat du président. Il faut que les auteurs et les commanditaires de ce crime soient poursuivis et punis.

4. Je n’ai pas besoin de faire un long discours, pour vous expliquer la situation qui prévaut dans mon pays et encore moins pour vous exposer les conséquences de l’instabilité politique chronique, son impact négatif sur plusieurs pays de la région, ce qui entraine entre autres les migrations illégales massives. Il est urgent d’adresser ces problèmes et d’y apporter des solutions durables. J’ai la conviction que la cause profonde d’une telle situation réside principalement dans la pauvreté abjecte dans laquelle vit la plus grande partie de notre population.

INSÉCURITÉ

5. Aujourd’hui la préoccupation principale de mes compatriotes est l’insécurité et le terrorisme aveugle qui perturbent considérablement la vie de tous les jours, sèment le deuil dans les familles et isolent du reste du pays, 4 départements sur 10 dans le Sud, zone qui a été durement frappé par le séisme du 14 aout 2021 suivi d’un violent cyclone. Il est indispensable et urgent d’y mettre un terme et de restaurer l’autorité de l’état sur toute l’étendue du territoire. C’est une nécessité si nous voulons atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés pour cette période intérimaire : le retour à un fonctionnement normal de nos institutions démocratiques, la remise du pouvoir à des élus dans les meilleurs délais, comme prescrit dans l’Accord du 11 septembre 2021.

6. Tout ceci sera un vœu pieux si les citoyens ne peuvent pas vaquer librement à leurs occupations, si les partis politiques et les candidats ne peuvent pas faire campagne partout dans le pays sans avoir à craindre pour leur vie.

7. La Police Nationale d’Haïti, en dépit de la précarité de ses moyens a remporté quelques petites victoires. Le nombre de kidnapping a diminué. Des chefs de gangs ont été arrêtés ou mis hors d’état de nuire, Deux gangs au moins ont été complètement démantelés. La semaine dernière trois écoles situées dans des quartiers difficiles ont recommencé à accueillir des élèves après plus de trois années de fermeture. Des riverains d’autres zones dites de non-droit, réclament un retour de l’État et l’accès à des services de base.

8. Pour faire face à des gangs mieux armés utilisant des techniques de guérilla urbaine et n’hésitant pas à recourir au terrorisme aveugle, notre police a un urgent besoin d’équipements, de matériels et de formation. Le maintien des restrictions imposées au gouvernement haïtien pour l’acquisition des équipements létaux, handicapent considérablement la capacité d’action et de réaction de la Police qui manquent cruellement de moyens en armements, en munitions en équipements de protection, blindés et autres.

9. Tandis que les terroristes et les gangs ne sont pas affectés par cet embargo et arrivent à se procurer des armes de gros calibres et des munitions en quantité. Ceci leur donne une supériorité en termes de puissance de feu par rapport à la police.

10. J’espère que vos pays et organisations prennent conscience qu’on ne peut pas s’attendre à des résultats spectaculaires sur le plan sécuritaire si nous n’arrivons pas mieux équiper notre police et à lui fournir la formation et l’encadrement nécessaire pour accomplir des tâches pour lesquelles elle n’était pas préparée.

DIALOGUE

11. Depuis mon accession à la tête du gouvernement, je n’ai pas cessé de dire aux uns et aux autres que c’est uniquement par le dialogue et la concertation que nous parviendrons à une solution durable de la crise politique. De mes discussions avec tous les secteurs de la vie nationale est sorti un Accord Politique pour une Gouvernance Apaisée et Efficace de la Période Intérimaire, signé par la plupart des partis politiques qui animent depuis des années la vie politique et par plus 700 organisation de la société civile. Hier encore ils s’affrontaient dans les rues, mais j’ai réussi à les convaincre de faire taire leurs querelles partisanes.

12. Malheureusement d’autres compatriotes n’ont pas suivi le mouvement et ont refusé de rejoindre les signataires de l’Accord du 11 septembre. En plusieurs occasions, j’ai fait la démarche d’aller vers eux malgré leur réticence, pour leur demander de participer à l’élargissement du consensus. Je ne désespère pas de les convaincre. Au début de cette semaine je leur ai une fois de plus tendu une main fraternelle en vue de cheminer ensemble vers le retour à l’ordre constitutionnel.

13. Je dois vous dire qu’il n’existe aucune disposition légale ni constitutionnelle qui autorise quiconque à s’arroger le droit de désigner un président provisoire. J’espère que les uns et les autres finiront par comprendre que de telles initiatives ne font qu’approfondir les divisions et les clivages dans la société haïtienne, à un moment où nous avons plutôt besoin de constituer un front uni pour faire face au fléau de l’insécurité en vue d’organiser des élections libres et inclusives. Mon gouvernement reste ouvert au dialogue et à la concertation avec tous les compatriotes.

14. Le 7 février prochain ne marque pas la fin du mandat du gouvernement qui a la responsabilité d’organiser des élections libres et démocratiques. Il n’y aura pas de vide à la tête de l’état. Le prochain locataire du palais national sera un président élu librement par l’ensemble du peuple haïtien.

15. Selon les dispositions de l’Accord du 11 septembre, plusieurs secteurs de la société, les paysans, les universitaires, le secteur privé, les femmes, la diaspora, les socioprofessionnels, et bien d’autres ont convenu de désigner leurs représentants pour la formation dans les jours qui viennent, des organes de la transition. Il s’agit d’une Autorité de Contrôle et de Suivi de l’action gouvernementale, du Conseil Électoral Provisoire et de l’Assemblée Nationale Constituante.

CRISE ÉCONOMIQUE ET HUMANITAIRE / CONFÉRENCE DES BAILLEURS

16. Haïti a besoin d’unité, Haïti a besoin de stabilité, Haïti a besoin d’investissements, pour faire face aux autres fléaux que sont la misère et une situation économique dégradée. Nous devons créer rapidement les conditions pour recommencer à attirer des investissements et créer des emplois durables dont notre jeunesse a besoin. C’est la seule façon de les soustraire à l’influence des gangs et de les dissuader de tenter l’aventure de l’émigration clandestine.

17. La région Sud du pays n’arrive pas encore à se relever des conséquences du séisme du 14 aout 2021 et du cyclone qui a suivi. Avec l’aide de nos partenaires techniques et financiers nous avons réussi à élaborer une évaluation exhaustive des dégâts et des besoins pour le relèvement et la reconstruction. La facture est élevée et en aucun cas les ressources fiscales nationales en diminution constante depuis trois ans, ne permettront jamais d’y faire face. Le peuple haïtien compte sur la solidarité agissante des pays amis et de ses partenaires techniques et financiers pour combler ce déficit de moyens.

18. Je saisis l’occasion pour convier vos pays et vos institutions à cette conférence prévue pour le 16 février prochain. J’espère qu’une fois de plus Haïti aura l’opportunité de bénéficier de la générosité et de la solidarité de ses amis de la communauté internationale qui se sont manifesté de bien des manières dont la fourniture de doses de vaccins dans le cadre de la lutte contre la Covid19.

19. Nos besoins ne concernent pas que le Sud du pays, mais l’ensemble du territoire. Mais de tout cela nous aurons l’occasion de reparler.

20. Je veux terminer en réitérant mes remerciements à vous tous pour votre intérêt dans la recherche de solutions durables aux crises multiples qui minent mon pays. J’espère vivement que les engagements que vous prendrez aujourd’hui se concrétiseront rapidement, pour que dans les mois qui viennent, un climat sécuritaire propice aux investissements et à l’organisation des élections, soit instauré en Haïti. Je reste disponible pour répondre à vos questions et avoir des échanges avec vous.